FRANC FRANÇAIS

FRANC FRANÇAIS
FRANC FRANÇAIS

Héritier direct de la livre tournois de l’Ancien Régime, le franc est devenu l’unité monétaire française en 1795. Les lois de germinal an XI (1803) en ont organisé l’émission, abolissant le dualisme entre unité de compte et unité monétaire qui prévalait jusque-là, mais conservant le bimétallisme or et argent comme système d’étalon. Le papier-monnaie de la Banque de France, banque d’escompte privée au début, ne reçut que progressivement un pouvoir libératoire généralisé et garda longtemps sa libre convertibilité. Mis à part des vicissitudes mineures, ce système assura en France la stabilité monétaire jusqu’en 1914.

L’entre-deux-guerres fut, au contraire, une période où les phases d’inflation et de déflation se succédèrent brutalement. La France fit l’expérience des changes flottants, de la dépréciation monétaire, puis, avec la déflation et la surévaluation, d’un retour aux changes fixes en 1928, procurant une stabilité monétaire artificielle. À partir de 1936, l’ajustement de la monnaie française et un début de coopération monétaire internationale permirent des parités plus compatibles avec la reprise nécessaire de l’activité et l’inflation qui l’accompagnait.

Figé par le contrôle des changes depuis 1939, le franc ne retrouva sa convertibilité externe qu’en 1959, grâce à la coopération économique et monétaire européenne. La reconstruction et la modernisation du système bancaire avaient préparé une ouverture croissante de l’économie française sur l’extérieur. Diverses dévaluations étaient intervenues, jusqu’à celle de 1958 qui avait créé un nouveau franc (renforcé nominalement d’un facteur 100).

La phase de taux de changes fixes et ajustables qui s’instaura fut compatible avec une forte croissance de l’activité. À partir de 1969, cependant, l’instabilité des taux d’inflation nationaux créa des pressions persistantes sur le franc, qui s’apprécia par rapport au dollar et se déprécia par rapport au mark.

L’entrée dans une crise durable à partir de 1973 conduisit aux changes flexibles malgré les efforts déployés pour maintenir une stabilité monétaire en Europe. Dans une interdépendance internationale accrue, les tentatives pour assurer l’indépendance de la politique monétaire nationale grâce à une monnaie relativement surévaluée firent long feu. Il fallut en revenir, au début des années 1980, aux dévaluations, apparemment seules compatibles avec l’inflation endémique et l’incapacité de l’industrie française à dégager durablement un surplus exportable. Ces mêmes contraintes inspireront, à partir du milieu de la décennie, des politiques de «désinflation compétitive» et de «franc fort», auxquelles l’évolution de la politique monétaire allemande laissera peu de marge de manœuvre.

1. Les origines du franc de germinal

Les institutions monétaires mises en place en 1803 créèrent le premier système moderne d’émission que la France ait connu. Certes, l’Ancien Régime avait déjà su organiser, depuis 1726, un étalon bimétalliste stable auquel il y avait peu à changer. Cependant, un dualisme archaïque autorisait encore les mutations nominales, dans la tradition la plus vétuste du droit de seigneuriage féodal; l’instauration du système métrique dans le monnayage par les conventionnels en abolit la possibilité. Enfin, on renonçait à l’émission de papier-monnaie par l’État et, comme en Angleterre, on déléguait ce privilège à une banque centrale privée, seule capable à l’époque de dissocier le crédit des finances publiques.

Étalon bimétalliste

Un bimétallisme stable n’est praticable que si le rapport légal de l’argent à l’or ne s’écarte pas trop du rapport commercial qu’imposent sur le marché les conditions de l’offre et de la demande relatives de métaux. Lorsque, par exemple, l’argent (déthésaurisé ou importé de l’étranger) devient abondant relativement à l’or, l’or s’apprécie; si le rapport légal des deux métaux reste inférieur au taux d’échange sur le marché, l’or n’est plus apporté à la frappe des hôtels des monnaies et les pièces tendent à disparaître de la circulation. Tôt ou tard, un ajustement des deux rapports est nécessaire, traduisant une «mutation réelle de l’unité de compte», ce que nous appellerions en termes modernes une dévaluation (réévaluation) de l’unité de compte nationale par rapport aux unités de compte étrangères. Techniquement, il y a «affaiblissement» (ou au contraire «renforcement») de l’unité de compte lorsque le rapport entre l’unité de règlement monétaire (les pièces existantes, le louis, l’écu) et l’étalon (l’or, l’argent) est modifié, tandis que le rapport entre l’unité de règlement et l’unité de compte immatérielle (la livre, le sou) reste inchangé.

La dernière mutation réelle intervenue avant germinal fut celle d’octobre 1785 (sous le ministère Calonne) qui portait à 15,5 pour 1 le rapport légal de l’argent à l’or. Depuis 1726, où ce rapport avait été fixé à 14 5/8 pour 1, la valeur commerciale de l’argent avait baissé, en raison des progrès continus de sa production, ininterrompus depuis le XVIe siècle. En conséquence, l’or s’appréciait et l’on souhaitait capter, par le commerce extérieur bénéficiaire avec le Portugal, une partie de l’or brésilien afin d’en rééquilibrer la circulation par rapport à celle de l’argent. On abaissa donc le poids en or fin du louis (de 7,44 à 6,96 g, après conversion en unités modernes), laissant sa valeur monétaire en unités de compte inchangée (le louis restait au cours légal de 24 livres tournois).

Comme le poids en argent fin de l’écu de 6 livres restait, depuis 1726, fixé à 27 g, il y avait bien «renforcement» (réévaluation) de la livre tournois en or, son poids théorique baissant de 0,31 à 0,29 g, tandis que son contenu légal en argent restait à 4,50 g.

Un tel rapport de 15,5 était réaliste (les États-Unis, par exemple, le fixèrent à 15 en 1792, ne le portant à 16 qu’en 1834). La loi du 17 germinal an XI (7 avr. 1803) l’entérina purement et simplement, et la stabilité devait durer jusqu’en 1865-1878. Aux termes de la nouvelle loi monétaire, le franc contenait donc, de façon équivalente, soit 4,50 g d’argent fin, soit 0,290 322 5 g d’or pur. Il en résultait que le kilogramme d’argent fin valait légalement 222,22 F et le kilogramme d’or pur 3 444,44 F; concrètement, le kilogramme d’argent au titre de 9/10 se vendait à la Monnaie 200 F (moins 3 F de frais de fabrication), le kilogramme d’or à 9/10 de fin 3 100 F (moins 9 F de frais de fabrication).

Eu égard à la quantité d’or fin légalement contenue dans les principales monnaies étrangères, on déduisait le pair de la livre sterling à Paris (25,221 5 F à partir de 1816), du dollar (5,182 5 F à partir de 1900), etc. Ces taux de change fixes servaient de référence au calcul des points d’entrée et de sortie de l’or, selon les coûts (variables) d’importation ou d’exportation du numéraire, assurant la stabilité des règlements internationaux lorsque le système international d’étalon-or se fut généralisé dans le dernier quart du siècle.

Rationalisation révolutionnaire

L’introduction de mesures rationnelles représenta l’innovation majeure des révolutionnaires dans les institutions du monnayage. Le choix des nouvelles unités ainsi que la dénomination matérielle des signes monétaires à leur valeur faciale mirent fin au système archaïque du dualisme et aux possibilités de mutations nominales qu’il autorisait.

À l’origine, les Carolingiens ne connaissaient que le denier d’argent. Son poids était de 1/240e d’une livre d’argent qui, récemment réformée pour unifier les poids de l’Empire, comprenait 12 onces. On avait donc l’équation suivante: 1 livre = 12 onces 240 deniers, donc 1 once = 20 deniers. L’inscription d’une valeur faciale sur la pièce d’un denier était inutile puisque, sans ambiguïté, la valeur de cette pièce était bien celle d’un poids d’un denier de métal fin. Par contraction, on disait alors «un denier» pour nommer la valeur ou le prix d’un bien, pensant en fait: «tel bien a un prix égal au poids d’un denier d’argent». De la même façon, on évaluait les prix en «sous», un mot hérité du monnayage byzantin (le solidus d’or de Constantin, depuis longtemps disparu), au sens de 12 deniers-poids d’argent, et en livres, au sens équivalant à 240 deniers ou 20 sous-poids d’argent, même s’il n’existait aucune pièce d’un sou ou d’une livre. Sous et livres étaient de simples multiples du denier servant à compter et à évaluer les prix. L’équation des unités de compte devint donc: 1 livre = 20 sous = 240 deniers.

Au XIIIe siècle, lors de la restauration du bimétallisme, avec la reprise de la frappe de l’or par Louis IX, les choses avaient beaucoup changé. De nouvelles unités de poids coexistaient simultanément dans le royaume et à l’étranger. Chaque grand centre de foire et de commerce avait adopté à sa façon le nouveau poids du marc venu d’Europe du Nord. Pour ne prendre qu’un exemple, parmi une douzaine de systèmes en vigueur, à Paris, on pesait et on comptait légalement selon l’équation du marc parisis: 1 livre = 2 marcs = 16 onces = 26 2/3 sous-poids = 320 deniers esterlins. Le marc de Paris devint l’unité de poids du royaume à partir de 1226.

Cependant, les comptes se faisaient toujours selon l’ancienne équation carolingienne, entraînant d’inextricables complications. Comme l’unité de compte traditionnelle, du point de vue de ses divisions, ne coïncidait avec l’unité monétaire que dans le cas où la livre-poids en vigueur est une livre de 12 onces (et non de 15, 16 ou 18 onces), on finit par « officialiser» l’équation de compte carolingienne. On choisit à cet effet le système de poids de Tours, fondé sur une livre de 12 onces, pour en faire le système de compte légal, selon les divisions habituelles: 1 livre tournois = 20 sous = 240 deniers. Il fallut cependant attendre le règne de Louis XIV pour que le système de compte parisis soit complètement éliminé.

La philosophie du système dualiste est finalement plus simple qu’il n’y paraît de prime abord. La multiplicité des pièces est inévitable en raison du morcellement des droits de monnayage, de l’usure, de la fraude et de la circulation des espèces étrangères. Le poids de chaque pièce et son titre de métal fin doivent être constamment vérifiés. Le choix de l’unité de compte est cependant déjà un attribut du pouvoir royal. L’avantage du système réside dans le fait qu’il n’y a pas autant de cotation des prix que de monnaies différentes. L’adoption d’un nombre d’unités de compte réduit à trois et inférieur à celui des unités monétaires en circulation diminue les coûts d’information. L’unité de compte est le dénominateur commun des espèces.

Quelle que soit la complexité engendrée par le dualisme, c’est la fixation d’un cours légal qui établit un rapport nominal entre l’unité monétaire et l’unité de compte. Dans les transactions qui donnent lieu à remise d’espèces, les changeurs donnent un cours à chaque pièce rassemblée dans un assortiment généralement disparate. Cependant, le cours légal change lui-même plus ou moins souvent à l’occasion des mutations nominales effectuées par le pouvoir royal. Il y a en effet rehaussement (ou au contraire diminution) de l’unité monétaire si le cours légal entre l’unité monétaire et l’unité de compte est modifié, tandis que le rapport entre l’unité monétaire et l’étalon (la teneur en métal) reste inchangé. Il suffit donc, par simple ordonnance, de proclamer, par exemple, que le gros d’argent qui circulait pour 12 deniers tournois (ou 1 sou) vaudrait désormais 15 deniers tournois, sans rien changer au poids ni au titre de la pièce en circulation correspondante, le rehaussant ainsi ou, ce qui revient au même, affaiblissant de quelque 20 p. 100 l’unité de compte (le sou tournois). Cette opération, si fréquente sous l’Ancien Régime, produit ainsi simultanément une dévaluation de l’unité de compte (comme dans le cas de la mutation réelle) et une inflation (puisque la quantité d’unités monétaires en terme d’unités de compte est multipliée). Dans le cas contraire, il y aurait réévaluation de l’unité de compte et déflation de la quantité de monnaie.

Pour en finir avec cette pratique qui, à la longue, ruinait les créanciers, on chercha très tôt une rationalisation des institutions dans plusieurs voies. Une tentative pour faire coïncider l’unité monétaire et l’unité de compte remonte à 1360, lorsque Jean le Bon fit frapper une pièce d’or dite rex francorum ou «franc», au cours d’une livre tournois. Il n’en subsista que l’équivalence des dénominations dans la mémoire collective (franc et livre sont désormais des synonymes). Plus tard, Law fit imprimer sur les billets de la Banque royale (4 déc. 1718) la valeur faciale de 1 000, 100 ou 10 livres tournois, substituant la base 10 à la base 12 pour l’unité de compte, mais laissant inchangées les mesures de l’unité et de l’étalon (poids et titre). Puis, la loi du 7 avril 1795 rendit obligatoire l’adoption du système métrique, imposant notamment la mesure des poids en kilogrammes et celle du titre des métaux en millièmes de fin. Peu après, la loi du 10 avril 1795 baptisait l’unité monétaire franc et ses divisions décime et centime. Enfin, pour parachever ces réformes, la loi du 6 mai 1799 adoptait l’équivalence entre l’unité monétaire et l’ancienne unité de compte (1 franc = 1 livre tournois), mettant fin au système dualiste.

La loi du 17 germinal an XI, synthétisant toutes ces innovations, énonçait donc: «Cinq grammes d’argent, au titre de 9/10 de fin, constitue l’unité monétaire, qui conserve le nom de franc.» Les pièces d’argent de 1/4, 1/2, 3/4, 1, 2, et 5 F porteront l’empreinte de leur valeur nominale respective, qui sera intangible, de même que les pièces d’or à 9/10 de fin de 20 F (à la taille de 155 au kilogramme) et celles de 40 F (à la taille de 77 1/2).

Dans l’usage, le louis d’or continue à être reçu pour 24 F et l’écu pour 6 F jusqu’à leur démonétisation définitive en 1834. Les anciennes dénominations subsistent aussi dans le vocabulaire courant, et on désignera encore longtemps le franc par «vingt sous» et 5 F par «cent sous». Malgré tout, le dualisme et les mutations nominales ont vécu; seules subsistent les possibilités de dévaluation-réévaluation de la monnaie nationale (unité de compte et unité monétaire) par rapport à l’étalon et aux monnaies étrangères.

La diversification des formes monétaires

La diversification des formes monétaires et la multiplication de leur quantité en circulation sont des soucis constants en période de croissance économique. Or, de 1733 à 1817, l’économie française décrit un mouvement ascendant des volumes de production et de transactions, accompagné d’une hausse modérée des prix à long terme. La disette relative de numéraire est donc perçue comme préjudiciable aux «légitimes besoins des affaires», d’autant plus que les paiements comptants se répandent de plus en plus.

Très tôt, on a développé, avec plus ou moins de bonheur, l’émission de papier-monnaie: les billets de monnaie (1701-1712), ceux de la Banque royale (1718-1720), les «reconnaissances à vue» de la Caisse d’escompte (de 1776 à la Révolution), enfin les assignats (dans leur seconde phase de 1793 à 1796). Ces expériences ont été différentes les unes des autres: certains billets étaient librement convertibles, d’autres portaient intérêt (les rapprochant plus des certificats de dépôt que du papier-monnaie proprement dit); d’autres encore avaient cours légal mais pas de pouvoir libératoire complet, etc. En fait, à part des billets de la Caisse d’escompte, il ne s’est guère agi que d’expédients financiers auxquels avait recours le Trésor d’un État au bord de la banqueroute, correspondant à des épisodes monétaires artificiels, essentiellement politiques.

À l’époque, le succès d’une émission de papier-monnaie ne peut être assuré que par une banque privée, en contrepartie de l’escompte des lettres de change et billets à ordre. Or, en France, la persistance et la domination de la Haute Banque, héritière des grands marchands-banquiers apparus dès le XIIIe siècle, qui se cantonne aux opérations de commission et de change, mais ignore l’escompte, étouffe la croissance et le développement des banques modernes de dépôt, organisées sur le mode anglais. En outre, chaque fois qu’une banque privée réussit une émission de papier, elle s’empresse de rechercher le privilège et la garantie que seul l’État peut lui accorder; celui-ci, refusant l’existence d’une institution qui briserait le monopole d’émission de sa propre administration de la monnaie, l’étatise et lui extorque des concours qu’elle ne devrait jamais accepter de lui procurer. Ainsi, le dernier quart du XVIIIe siècle français s’ouvre avec un marché de l’escompte balbutiant, peu de banques de dépôt et pas de banque centrale indépendante.

La percée des banques d’escompte ne commence à Paris qu’en 1796, notamment avec la Caisse des comptes courants, la Caisse d’escompte du commerce et une demi-douzaine d’autres établissements de moindre importance. En 1800, la Banque de France, avec laquelle la Caisse des comptes courants a fusionné, émet de grosses coupures (de 500 et 1 000 F) que le Trésor accepte en échange du droit à lui demander des avances provisoires. Deux ans plus tard, les billets de la Banque de France en circulation s’élèvent à 45 millions de francs sur un total de 70 millions. Finalement, à l’initiative du Premier Consul, lui-même actionnaire, la Banque de France reçoit le «privilège exclusif d’émettre des billets» à Paris, par la loi du 24 germinal an XI (14 avr. 1803), pour une durée de quinze ans. La loi du 22 avril 1806 organisera une tutelle plus étroite de l’État sur la Banque, en échange d’une prorogation de son privilège d’émission, et un décret de 1808 lui permettra de créer des «comptoirs d’escompte dans toutes les villes de départements où les besoins du commerce en feront sentir la nécessité». De tels comptoirs sont effectivement ouverts à Lyon, à Rouen, puis à Lille, élargissant quelque peu la circulation des billets de la Banque en province.

Il n’empêche que la progression des billets dans le règlement des transactions est des plus lentes. L’émission n’est pas statutairement limitée, mais la Banque, par prudence, la couvre au moins au tiers par sa réserve métallique. Malgré les brèves crises de liquidité de 1805 et 1814 qui entraînent les limitations partielles des possibilités de retrait, les billets de la Banque restent librement convertibles.

Enfin, la présence des dépôts à vue dans la masse monétaire demeure, dans cette période de fondation institutionnelle, tout à fait symbolique, reflétant largement l’état embryonnaire du marché monétaire et l’absence d’organisation de la compensation interbancaire. La contrepartie habituelle du crédit par escompte d’effets reste la remise de billets convertibles, plus rarement la constitution d’un dépôt à vue susceptible de circuler seulement par virements.

La masse monétaire estimée en moyenne sur la période 1810-1814 paraît alors composée pour 94 p. 100 de pièces métalliques en circulation (1,79 milliard de francs), 4,3 p. 100 de billets (83 millions) et 1,7 p. 100 de dépôts à vue (33 millions), soit un total de 1 906 millions. Billets et dépôts à vue sont couverts à 51,7 p. 100 par l’encaisse métallique de la Banque de France (60 millions). Pour un revenu national moyen estimé pour la même période à 6 670 millions, le taux de liquidité de l’économie française ressortit à 28,6 p. 100 et son inverse, la vitesse-revenu de la monnaie (définie approximativement par le rapport du revenu national à la masse monétaire) est de 3,7. Ces indicateurs traduisent naturellement une sous-monétisation relative de l’économie qui se prolongera tant que le secteur bancaire restera aussi limité.

2. Du bimétallisme à l’étalon-or (1803-1914)

Les institutions de 1803 ont permis plus d’un siècle de stabilité monétaire. Sauf pendant de courtes périodes de guerre ou de troubles, les cours des monnaies étrangères sont restés voisins du pair métallique. Le pouvoir d’achat du franc a varié en fonction du mouvement général des prix. Les prix et l’activité ont baissé de 1817 à 1850, appréciant le franc. Un mouvement contraire a accompagné l’expansion de 1850 à 1873. Puis, se produit à nouveau une contraction de 1873 à 1896, et enfin une nouvelle phase d’essor jusqu’à la crise de 1929. En moyenne, jusqu’en 1914, la valeur du franc est restée à peu près constante.

Le régime de l’émission a peu à peu évolué. Les hôtels des monnaies en province ont cessé leur activité les uns après les autres et, à la fin du siècle, l’Administration des monnaies et médailles, dépendant du Trésor public, a centralisé la frappe des pièces. L’émission de billets n’a trouvé son organisation définitive qu’en 1848. De 1817 à 1838, neuf banques départementales d’émission ont été créées. Indépendantes de la Banque de France, leurs billets n’avaient qu’une aire de circulation limitée. Ces banques étaient aussi soumises à l’obligation de maintenir leur encaisse au tiers de leurs engagements à vue (billets et dépôts). En 1847, leur émission de billets représentait quelque 40 p. 100 de celle de la Banque de France. La concurrence des billets de la Banque de France à cours national entraînait des difficultés. Le gouvernement de la IIe République décida la fusion des banques départementales avec la Banque de France en avril-mai 1848. La Banque recevait donc le monopole de l’émission de billets sur l’ensemble du territoire national. L’autorisation d’émettre des coupures de moindre valeur (200 F en 1847, 100 F en 1848, etc., jusqu’à 5 F en 1871) favorisa la généralisation du billet de banque dans les transactions courantes. Du reste, à l’occasion de l’instauration du cours forcé (15 mars 1848-6 août 1850) et d’un plafond à l’émission de la Banque de France fixé par voie législative, le billet avait reçu cours légal. Ce pouvoir libératoire illimité devait demeurer, même après le retour à la libre convertibilité en métal. Le cours forcé fut cependant rétabli à l’occasion de la guerre de 1870 (jusqu’au 13 août 1875), puis, à nouveau, le 5 août 1914.

Le bimétallisme fonctionna de façon satisfaisante tant que l’un ou l’autre des deux métaux ne fit pas de prime excessive. Jusqu’en 1814, l’or avait fait prime sur l’argent (rapport commercial moyen 16/1). Jusqu’en 1820, au contraire, c’était l’argent (15,04/1); l’or s’était raréfié. Le rapport commercial remontant à 15,76, de 1820 à 1850, l’argent déprécié avait presque évincé les pièces d’or. L’afflux d’or californien (1849) et australien (1851) conduisit à une légère appréciation relative de l’argent, suffisante pour banaliser l’or sous le second Empire et pour conduire à une véritable disette de monnaies d’argent. La Belgique, la Suisse et l’Italie qui avaient rejoint le système de germinal, comme la France, finirent par réagir de concert (convention du 23 décembre 1865 instituant l’Union monétaire latine), en diminuant à 0,835 le titre des pièces inférieures à 5 F et en limitant leur pouvoir libératoire. On entrait alors dans un bimétallisme boiteux avec un franc argent de 4,5 g pour les pièces à 0,9 de fin et un franc de 4,175 g pour les pièces réduites à 0,835 de fin. L’arbitrage était donc favorable à l’argent mieux titré et, de là, à l’or.

L’exploitation intensive des mines d’argent du Nevada, à partir de 1873, accentua encore le porte-à-faux de l’Union latine. Le rapport commercial or/argent s’éleva progressivement à plus de 33/1, et l’or s’apprécia rapidement. Alors que de nombreux pays abandonnaient le bimétallisme, en fait et en droit, l’Union latine se contenta d’une solution tronquée: la France suspendit la libre frappe de l’argent (loi du 5 août 1876), ramenant les pièces d’argent au rang de monnaies divisionnaires, et l’Union latine entra en léthargie en endossant cette décision deux ans plus tard. Dans les faits, l’étalon-or était instauré.

Les phénomènes les plus marquants de la période sont naturellement la mise en place, irrégulière et ponctuée de crises, d’un véritable système bancaire et d’un marché monétaire qui s’organise par étapes. Aux quatre grandes banques qui dominent la scène (Crédit Lyonnais, Société générale, Comptoir d’escompte de Paris et Crédit industriel et commercial) et concentrent la moitié des dépôts bancaires (à vue et à terme) s’ajoutent les nouvelles banques qui publient un bilan (29 en 1891, 132 en 1913). La place relative de la Banque de France comme banque commerciale recule, tandis que son rôle de pivot du marché monétaire s’accroît. Le secteur public reste néanmoins présent dans la collecte de l’épargne liquide avec la Caisse des dépôts et consignations qui centralise la majeure partie des livrets des caisses d’épargne, pour un montant équivalant à celui de tous les dépôts bancaires.

Dans ces conditions, dès 1894, le volume des dépôts bancaires dépasse celui des billets et, en 1908, celui de la monnaie métallique. Le chèque bancaire, juridiquement séparé de la lettre de change en 1865, compensable au clearing des banques parisiennes en 1871, commence à s’acclimater dans les milieux industriels et commerçants. La contrepartie de l’escompte est de moins en moins le billet, de plus en plus le dépôt bancaire à vue. L’essor de la monnaie scripturale, longtemps différé, s’amorce enfin, reléguant à un rang subalterne les problèmes liés aux espèces. La monnaie de crédit l’emporte désormais sur la monnaie marchandise (tabl. 1).

Au plan international, le franc est devenu, dans une certaine mesure, monnaie de réserve, moins certes que la livre sterling, mais plus que le reichsmark allemand. La balance commerciale est devenue déficitaire dès 1867. La France investit à long terme en équipements dans l’empire colonial et en titres d’emprunts publics en Europe de l’Est et au Proche-Orient. En contrepartie, les gouvernements étrangers accumulaient des avoirs à court terme libellés en francs, soit des engagements du système financier français envers des non-résidents. Exportatrice de capitaux à long terme, importatrice à court terme, la France jouait donc un rôle de transformation internationale, et la place de Paris celui de centre financier concurrençant Londres et Berlin. Dans la mesure où les réserves d’or couvraient largement (deux fois et demie, selon Lindert) les engagements à court terme en francs (contre 1,8 fois et seulement un tiers pour l’Allemagne et l’Angleterre respectivement), la convertibilité externe du franc était largement garantie.

3. Inflations et déflations de l’entre-deux-guerres

La guerre a, en France comme ailleurs, durablement ouvert l’ère de l’inflation. La valeur de la monnaie varie comme l’inverse du niveau général des prix à l’intérieur; à l’extérieur, son cours de change reflète à moyen terme la différence de taux d’inflation avec l’étranger et exprime, à court terme, la différence de taux d’intérêt corrigée de la variation anticipée du taux de change. Dans les deux cas, la valeur réelle de la monnaie est corrélée à la croissance de la masse monétaire en excès de celle du volume de l’activité économique.

L’instabilité monétaire caractérise la période de l’entre-deux-guerres, des adaptations institutionnelles marquant chaque phase notable. La référence à l’or sera tardivement éliminée, le crédit marquera le pas et le papier-monnaie inconvertible fera, à retardement, une percée qui trouve peu d’équivalent à l’étranger (tabl. 2). La succession des phases d’inflation et de déflation au fil des cycles conjoncturels courts explique, pour une large part, la raison d’être des principaux changements.

L’inflation de l’après-guerre (1919-1926)

En 1920, les prix de gros sont six fois plus élevés qu’en 1913; en 1926 (après un court répit) huit fois (fig. 1). À l’effondrement de la production de 30 à 40 p. 100 a succédé la crise de reconversion. L’écart inflationniste est alimenté par la multiplication par huit de la circulation de billets qui provient de la contrepartie des avances au Trésor consenties par la Banque de France. Le Trésor est également endetté à hauteur de dix fois le stock de billets en circulation. Les capitaux flottants recherchent les placements en livres sterling attirés par la perspective du retour à l’étalon-or (1925). Le cours du franc sur le marché des changes est déprécié de 80 p. 100 par rapport à 1914. La France a perdu les deux tiers de ses investissements étrangers d’avant guerre.

Le gouvernement Poincaré entreprend un assainissement financier et conduit une politique de déflation classique: exécution du budget en équilibre ou en excédent, remboursement à la Banque de France des avances consenties au Trésor, augmentation des impôts, achat de livres sterling sur le marché des changes.

La stabilisation s’opère en deux étapes. La loi du 7 août 1926 fait adhérer la France à l’étalon de change or, conformément aux recommandations de la Conférence monétaire internationale de Gênes (1922) – en fait, à l’étalon-sterling, puisque seule la livre est redevenue convertible en or. C’est seulement une étape transitoire et l’intention réelle des autorités est de favoriser, par des achats de devises, une remontée du franc en reconstituant des réserves suffisantes. Cependant, on n’accepte pas l’idée de subordonner le franc à la livre; on vise en réalité le retour à l’or, comme l’Angleterre, quitte à convertir en or les livres récemment acquises sur le marché, ce qui ne peut manquer, à la longue, d’entamer les réserves métalliques de l’Angleterre. Il reste à choisir un pair: on n’ira pas jusqu’à rétablir le pair de 1914, comme en Angleterre; on sanctionnera en partie l’inflation récente, mais, pour le prestige du franc qui doit être une monnaie forte, on choisira une parité supérieure au cours le plus déprécié de 1926. Ce sera donc un retour au monométallisme or assorti d’une dévaluation du franc par rapport au franc de germinal et d’une réévaluation par rapport au cours de 1926. La bonne parité à rechercher est celle qu’imposera le maintien du taux de salaire réel dont on refuse a priori la baisse pour ne pas déstabiliser une paix sociale à peine restaurée. On y parviendra par l’«inflation gagée», c’est-à-dire l’organisation d’une spéculation en faveur du franc s’accompagnant d’achats d’or systématiques mais stérilisés, pour ne pas augmenter d’autant l’émission de billets.

La loi du 25 juin 1928 rétablit en effet l’étalon-or avec convertibilité des billets en lingots seulement. Le système du plafond de l’émission de billet, en vigueur depuis 1848, est remplacé par un plancher de l’encaisse or de la Banque de France, fixé à 35 p. 100 du montant des billets en circulation et des comptes à vue créditeurs inscrits au passif du bilan. Le franc est défini par un poids d’or de 65,5 mg à 0,900 de fin, ce qui le ramène au cinquième de la valeur or du franc de germinal. Les nouvelles parités sont fixées à 124,213 F pour une livre et 25,524 F pour un dollar.

La diversion du bloc de l’or (1928-1936)

Dès 1926, en France, les prix se stabilisent, puis baissent jusqu’en 1935, les prix de gros baissant plus vite que les prix de détail. La politique d’orthodoxie financière française amorce plus vite la déflation que le cycle conjoncturel, la dépression consécutive à la crise de 1929 ne faisant qu’accentuer la chute.

Le franc de Poincaré était sous-évalué par rapport à la livre; il devient notablement surévalué dès lors que la livre (1931) abandonne la référence à l’or et flotte en baisse, et que le dollar (1934) est dévalué par rapport à l’or. La France a réaffirmé son attachement à l’or à la conférence de Londres (1933), entraînant avec elle la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie, la Pologne et la ville libre de Dantzig. La compétitivité diminue sur les marchés extérieurs, des quotas d’importations sont instaurés et la désindustrialisation et le chômage s’accélèrent, tandis que la France détient en 1933 le quart du stock d’or mondial et les pays du bloc plus du tiers. Envers et contre tout, cependant, la dévaluation est refusée au nom de la stabilité monétaire et l’on en vient à espérer la reprise de l’activité d’une hypothétique baisse des prix plus rapide que celle de certains salaires nominaux, ainsi que d’une revalorisation des encaisses monétaires détenues par les agents. La reflation, pendant ce temps, a déjà commencé aux États-Unis et en Angleterre dans une protection commerciale extérieure accrue.

Le franc flexible

La France n’en vient à l’indispensable solution qu’en 1936, à l’avènement du gouvernement de Front populaire. Si la reflation est à l’ordre du jour, elle intervient malheureusement trop tard, car la conjoncture est déjà à la hausse et la mise en œuvre des mesures sociales mal financée. C’est dans un climat de panique financière et d’exode des capitaux, pire qu’en 1924, que la France tente d’obtenir des appuis étrangers et parvient à ébaucher une coopération monétaire internationale.

L’accord tripartite, signé le 25 septembre 1936, entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, établit un lien contractuel entre les trois blocs (dollar, sterling et franc) pour déterminer des objectifs concertés de taux de change et coordonner les interventions des Fonds de stabilisation des changes sur le marché, de façon à éviter les réactions excessives des cours et à régulariser les mouvements du prix de l’or. Il est aussi recommandé à la France de prendre ses distances à l’égard de l’étalon-or, trop rigide, auquel elle est restée attachée. Le réalignement du franc interviendra en plusieurs étapes:

– 28 septembre 1936: interdiction de l’exportation d’or et suspension de la convertibilité du franc pour les résidents (cours forcé);

– 1er octobre 1936: abrogation de la définition en or du franc Poincaré et instauration d’un «franc élastique» entre un pair maximal de 49 mg d’or fin et minimal de 43 mg, avec interventions de soutien du Fonds de stabilisation des changes, créé à cette occasion;

– 30 juin 1937: suppression de la limite de dépréciation maximale autorisée (43 mg) et flottement en baisse du franc;

– 4 mai 1938: abandon de l’étalon-or et rattachement à l’étalon-sterling à la parité fixe de 179 F. Franc et livre flottent de concert vis-à-vis du dollar;

– 3 septembre 1939: contrôle des changes généralisé figeant les parités de la livre à 176,25 F et du dollar à 43,8 F.

La variété même des expériences monétaires dans l’entre-deux-guerres délivre deux enseignements. Le premier réside dans le fait que la déflation et la surévaluation de la monnaie nationale sont au moins aussi préjudiciables à l’activité économique et à l’emploi que l’inflation. La stabilité formelle du franc, de Poincaré à Laval, fut un facteur du retard industriel pris par la France. Le second est la neutralité relative du système d’étalon et du régime de change à l’égard des politiques économiques et des conjonctures. On a connu des politiques laxistes et l’inflation en changes flottants et étalon-sterling (1920-1926), mais aussi l’orthodoxie et la rigueur (1926-1928); de même en changes flexibles, voire en changes fixes et étalon-or. L’importance des arrangements monétaires institutionnels ne devrait pas être surestimée par rapport à celle des cycles des prix et de l’activité. L’après Seconde Guerre mondiale allait encore en administrer de multiples illustrations.

4. Le retour à la convertibilité externe (1944-1958)

La reconstruction était la première nécessité. Après la Libération, elle s’opéra par financement public de l’effort d’investissement productif, grâce en partie à l’aide étrangère, à l’abri d’un contrôle des changes rigoureux. Parvenue à un rythme de croissance plus régulier, malgré une inflation relativement modérée mais persistante, l’économie put alors se préparer à une ouverture sur l’économie internationale.

Le franc est donc resté inconvertible en monnaies étrangères jusqu’en 1958. Le contrôle des changes, hérité de 1939, renforcé en 1945, centralisait tous les avoirs en or et en devises aux mains des autorités monétaires. Le découvert de trésorerie faisant l’objet d’un financement principalement monétaire et la balance des transactions courantes étant largement déficitaire, les parités officiellement déclarées restaient artificielles par rapport aux cotations du marché noir. Il s’ensuivit, en 1948 et en 1949, une série d’ajustements, les uns illégaux et transitoires (comme l’instauration de cours de change multiples, de janvier 1948 à avril 1949), les autres plus durables, comme la dévaluation du 20 septembre 1949, qui accompagnait celle de la livre sterling et d’autres monnaies européennes (tabl. 3).

Au début des années 1950, le franc est devenu transférable à l’étranger, grâce aux accords de paiement intra-européens (18 nov. 1947, 16 oct. 1948, 7 sept. 1949) qui organisaient, dans le cadre de l’aide américaine à la reconstruction (plan Marshall) gérée par l’O.E.C.E. (16 avr. 1948), la compensation multilatérale des soldes bilatéraux. L’adhésion de la France à l’Union européenne des paiements (19 sept. 1950) prépara ensuite le retour au multilatéralisme intégral. Après une dernière crise de trésorerie se traduisant par une pseudo-dévaluation de 20 p. 100 en août 1957 (légalisée le 23 juin 1958), l’assainissement des finances publiques, la réduction du déficit extérieur et la reconstitution des réserves officielles de change permirent à la France de rétablir la convertibilité de la monnaie pour les non-résidents. Le contrôle des changes, notablement assoupli, subsistait néanmoins.

Le retour du franc parmi les grandes monnaies s’est ainsi progressivement réalisé dans un cadre institutionnel européen, à vrai dire bien plus efficace que celui qui avait été dessiné à la conférence de Bretton Woods (1944) et qui devait aboutir à la création du Fonds monétaire international (1947). Abritée par le contrôle des changes et les tarifs douaniers, la France a pu restructurer son système bancaire (1941, 1945) et mettre en place une organisation du crédit largement dominée par des institutions bancaires et financières publiques. Les banques ont désormais pris le relais du Trésor dans la création monétaire, comme le montre l’évolution des contreparties de la masse monétaire (tabl. 4). Elles ont su également mobiliser l’épargne liquide et développer la collecte de ressources quasi monétaires (comptes à terme et sur livrets, bons de caisse), augmentant ainsi leur capacité de transformation des liquidités en prêts aux entreprises. Les institutions financières non bancaires publiques, grâce, notamment, à l’impulsion de la Caisse des dépôts, drainent le reste de l’épargne des agents non financiers et l’utilisent au financement de l’équipement des collectivités locales et du logement social.

5. Le franc fixe et ajustable (1959-1973)

Le retour du franc à la convertibilité externe autorise la mise en œuvre du régime de change fixe et ajustable prévu par les statuts du F.M.I. Le choix de parités réalistes avec les autres monnaies convertibles et la définition d’une nouvelle unité monétaire préparent à l’ouverture de l’économie française sur son environnement international. Le système bancaire doit s’y adapter et la politique monétaire devenir plus active (fig. 2).

Sur le plan interne, l’inflation reste plus forte qu’à l’étranger de 1959 à 1963 (12 p. 100 contre 8 p. 100 en Allemagne, 4 p. 100 aux États-Unis). Le plan de stabilisation du 12 septembre 1963 parvient à ralentir cette «surchauffe» de l’économie par le blocage des prix, l’abaissement des droits de douane, la limitation de la liquidité bancaire (relèvement du coefficient de trésorerie), l’instauration d’un encadrement du crédit et le relèvement du taux d’escompte. La réduction du découvert de trésorerie s’obtient par la débudgétisation de nombreux concours à l’économie (repris par la Caisse des dépôts et d’autres institutions financières non bancaires publiques). En 1967, l’inflation est sensiblement ralentie, mais pendant la décennie écoulée, la hausse moyenne des prix a tout de même atteint 48 p. 100.

Sur le plan externe, la marge de 15 p. 100 autorisée par la dévaluation de décembre 1958 aurait pu être rapidement annulée par l’inflation. Pourtant, les excédents successifs de la balance des paiements se traduisent par des entrées de devises dont une fraction est systématiquement convertie en or auprès du Trésor des États-Unis. À la fin de 1967, les réserves officielles de change atteignaient 36 milliards de francs, dont les trois quarts en or. La dette extérieure contractée pendant la guerre et la reconstruction put donc être remboursée presque intégralement et le contrôle des changes supprimé au début de 1967.

Le franc est devenu une monnaie forte et stable, à une époque où la livre sterling est sans cesse l’objet d’attaques spéculatives et où le dollar se trouve virtuellement poussé à une situation d’inconvertibilité potentielle en raison de la croissance des engagements à court terme du système bancaire américain envers l’étranger. Le désaccord se creuse entre les positions des États-Unis et de la France sur le fonctionnement de l’étalon-devise-or. Le franc est certes convertible en dollar, à taux fixe, lui-même convertible en or au prix officiel de 35 dollars l’once de fin. Pour la France, la discipline des changes fixes la contraint à gonfler sa circulation monétaire intérieure en proportion de l’accroissement net de ses réserves de change. Elle souhaiterait cependant s’affranchir de cette contrainte, comme d’ailleurs les autres pays à faible inflation interne, peu désireux de l’importer de l’étranger ou de réévaluer leur monnaie par rapport au dollar (Allemagne, Pays-Bas en 1961). Pour les États-Unis, c’est la contrainte de la convertibilité en or du dollar à prix fixe qui est pesante, les empêchant de choisir librement le taux d’inflation qu’ils estiment compatible avec leur objectif de croissance sous peine d’accélérer leur endettement à court terme et leur illiquidité potentielle.

Latente au début des années 1960, la crise du système international devient aiguë à partir de 1968. Les États-Unis mettent fin au «pool de l’or» le 18 mars 1968, interdisant de facto la conversion en or des avoirs étrangers en dollars, et ne légalisent cette mesure que le 15 août 1971, rendant le dollar inconvertible en or, puis rehaussant (formellement) son prix officiel en 1971 et en 1973. En fait, l’or est évincé déjà depuis 1968. Les monnaies périphériques entrent de leur côté dans une période de révision incessante des parités, à intervalles de plus en plus rapprochés: le réalignement général des monnaies décidé lors de l’accord du Smithsonian Institute, le 18 décembre 1971, ne donne qu’un répit temporaire, jusqu’à la seconde dévaluation du dollar le 12 février 1973 et à l’abandon généralisé du régime de taux de change fixes.

Le franc, un moment stabilisé, est à nouveau dévalué le 10 août 1969. La hausse des salaires nominaux, contrecoup des événements de 1968, les sorties de capitaux massives enregistrées (de septembre à novembre 1968 la liberté des changes a été temporairement rétablie) et l’inflation relancée par le financement monétaire du déficit budgétaire ont rendu nécessaire l’ajustement de la parité. Au-delà de ces circonstances, c’est aussi l’occasion de ménager au commerce extérieur une marge accrue de compétitivité au moment où, la période transitoire terminée, la libre circulation des biens et services s’instaure dans le Marché commun, exposant directement l’économie française à la concurrence internationale.

Lors de la crise de 1971, la France, pour échapper à la réévaluation, instaure un double marché des changes le 23 août, où les transactions commerciales se traitent à la parité officielle et où les autres opérations autorisées par le contrôle des changes s’effectuent au cours flottant du franc financier. Malgré tout, les entrées de capitaux se poursuivent. Le réalignement général des monnaies de décembre 1971 se traduit par une réévaluation du franc par rapport au dollar de 8,57 p. 100 et par une dévaluation par rapport au mark, au florin et au yen, tandis que le taux de la livre sterling reste inchangé. Le franc rejoint alors les principales monnaies européennes qui, au terme des accords de Bâle (24 avr. 1972), flottent de manière concertée vis-à-vis du dollar tout en restant liées entre elles par des parités fixes et ajustables (système du «serpent dans le tunnel»). De 1971 à 1973, le franc s’apprécie de quelque 24 p. 100 par rapport au dollar, mais se déprécie de 14 p. 100 par rapport au mark. Lorsque le dollar est dévalué pour la seconde fois, en février 1973, le franc reste dans le serpent, dès lors dépourvu d’une politique commune de stabilisation envers le dollar. Le double marché des changes subsiste juqu’au 21 mars 1974.

6. Du franc flexible au franc fort

La crise internationale commence au second semestre de 1972 par l’accélération de l’inflation mondiale, s’accentue avec le premier choc pétrolier (dernier trimestre de 1973) et se prolonge avec le deuxième (second semestre de 1979). Les conditions d’adaptation de l’économie française ne sont pas les plus favorables. Elle continue à augmenter son degré d’ouverture à l’économie internationale, qui passe de quelque 20 p. 100 en 1970 à 36 p. 100 en 1981 (fig. 2). Ce mouvement s’accompagne d’un commencement de redéploiement industriel, certains secteurs gagnant des parts de marchés étrangers (plus ou moins durablement), d’autres s’effondrant au contraire sous la poussée d’un taux de pénétration étrangère croissant. Globalement, la France, qui réalisait des gains nets sur l’extérieur, subit à partir de 1974 un prélèvement sur ses ressources réelles et financières de l’ordre de 1,5 à 2,5 p. 100 de son produit intérieur brut. Comme la croissance se ralentit et alourdit le coût de renouvellement des équipements tandis que la baisse de la productivité du travail augmente le coût fixe représenté par le maintien du pouvoir d’achat des revenus, le surplus à partager diminue de 3,3 p. 100 environ en moyenne jusqu’en 1980. La combinaison du prélèvement extérieur supplémentaire (1,5 p. 100 du P.I.B.) et la moindre progression du surplus se traduisent par un manque à partager de l’ordre de 4,8 p. 100 en moyenne, inévitablement générateur d’inflation et de chômage croissants.

Le poids de la contrainte extérieure peut s’apprécier à travers l’évolution des transactions avec l’extérieur. La balance commerciale n’est excédentaire qu’en 1975 et 1978, c’est-à-dire uniquement lorsque la récession limite la croissance des importations. Les exportations restent en revanche stables en volume et la dépréciation du franc semble impuissante, à courte échéance, à en améliorer la progression. Par suite, toute tentative de relance de l’activité par la demande se révèle catastrophique en termes de déficit extérieur puisque les importations l’absorbent entièrement en même temps que le déficit budgétaire se creuse fortement (1981-1982). L’apparition d’un grave déficit des services en fin de période vient alourdir le solde négatif des transactions courantes et, si on ajoute les sorties de capitaux (principalement des crédits commerciaux à l’étranger), la balance de base se détériore. Hormis en 1973, où l’équilibre a été à peu près réalisé, et en 1978, où un excédent tout à fait exceptionnel (10,4 milliards de francs) est apparu, la balance de base a affiché un déficit permanent (24 milliards de francs en moyenne sur la période 1973-1978). Il s’est toutefois profondément accentué les années suivantes (42 milliards de francs en 1980, 80 milliards en 1981, 93 milliards en 1982).

Le financement de ce déficit a été obtenu pour la moitié en 1976, la totalité de 1977 à 1979 et près de 42 p. 100 en 1980 et 1981 par l’endettement à court et moyen termes sous forme d’«emprunts autorisés» sur l’euromarché du dollar et sur les marchés financiers et monétaires étrangers. L’encours a atteint 188 milliards de francs à la fin du premier semestre de 1982. D’une façon générale, ces emprunts, contractés par les grandes entreprises nationales (E.D.F., S.N.C.F., etc.) avec la garantie du Trésor public, ont permis d’étaler dans le temps les conséquences macro-économiques des chocs pétroliers successifs, de sorte que le financement immédiat a permis un ajustement graduel à la contrainte extérieure. En outre, les cessions de devises correspondantes ont préservé la valeur externe du franc et le niveau des réserves officielles de change (qui ont régulièrement augmenté de 1977 à 1980, avant de chuter de 28 milliards de francs en 1981, puis encore en 1982). Ces emprunts ont aussi permis de pallier l’insuffisance de l’épargne nationale disposée à s’investir à long terme et de rendre ainsi possible le financement de grands projets d’investissements (programme électronucléaire, train à grande vitesse, autoroutes, télécommunications). Enfin, le secteur bancaire est, à son tour, devenu importateur net de capitaux à court terme à partir de 1979, augmentant son endettement extérieur de quelque 61 milliards de francs. Le poids total de l’endettement étranger est ainsi devenu substantiel.

La politique budgétaire a été marquée par un accroissement sensible de la part des dépenses publiques dans le P.I.B. de 40 p. 100 au début des années 1970 à 51 p. 100 en 1981, principalement en raison des transferts sociaux entraînés par la montée du chômage (de 2,4 p. 100 de la population active en 1970 à 7,4 p. 100 en 1981). Cependant, si l’on défalque le déficit imputable au ralentissement de la conjoncture, la fraction de ce même déficit, réellement désirée par le gouvernement, à des fins de relance, n’a crû qu’en 1975, 1978 et 1981. En 1981, la part des dépenses publiques ainsi ajustées ne représente que 48,5 p. 100 du P.I.B., chiffre comparable à ceux des autres pays industrialisés.

La politique monétaire des autorités a été plus heurtée. On observe d’abord un taux de croissance moyen de la masse monétaire M2 de 17,1 p. 100 entre 1971 et 1975, en excès de 13,2 p. 100 sur la croissance en volume du P.I.B. À l’automne de 1976, les autorités fixèrent un objectif quantitatif de croissance annuelle de M2 qui fut progressivement ramené de 12,5 p. 100 en 1975 à 10 p. 100 en 1981. L’objectif ne fut respecté qu’en 1978 et 1980, mais, dans l’ensemble, la croissance de M2 fut réduite de 4 à 5 p. 100. L’encadrement du crédit ne fut vraiment contraignant qu’en 1974, 1977 et 1981-1982, à partir du moment où il accepta moins de dérogations. Une reprise de liquidités fut aussi mise en place en novembre 1980 par la Banque de France pour compenser le réescompte automatique des crédits commerciaux à l’exportation hors de la C.E.E. à moyen et long termes.

Cependant, le taux d’inflation avait commencé à diminuer deux ans avant la politique monétaire restrictive et, malgré celle-ci, l’inflation augmenta à partir de 1977 (indépendamment aussi des variations du taux de chômage). À partir de cette date, l’écart d’inflation se creusa par rapport aux principaux partenaires commerciaux, atteignant quelque 5 p. 100 aux dépens de la France en 1982.

Les taux d’intérêt à court terme sont fixés par la Banque de France en fonction de son objectif de taux de change. Pendant dix ans, ces taux, diminués des taux d’inflation correspondants, sont restés proches de zéro et ont souvent été négatifs. Puis, les taux réels ont très brutalement monté, jusqu’à 6-7 p. 100 après mai 1982. Les taux d’intérêt réels à long terme, en revanche, ont toujours été positifs (de 1 à 3 p. 100), sauf en 1974 et 1975, lorsque l’inflation dépassa pour la première fois 12 p. 100.

La dépréciation du franc contre le mark (fig. 3) conduisit à une sortie du serpent monétaire de janvier 1974 à juillet 1975, pendant laquelle le franc gagna 15 p. 100 sur le dollar et 10 p. 100 sur le mark. La rentrée dans le serpent s’opéra à un moment où la politique expansionniste du gouvernement Chirac provoquait un important déficit commercial, et le franc quitta à nouveau le serpent en mars 1976. L’expérience fut particulièrement coûteuse en pertes de réserves. En quelque six mois, le taux de change effectif du franc se déprécia de 10 p. 100. Le plan Barre permit, à partir de septembre 1976, une amélioration graduelle de la balance des transactions courantes, qui s’équilibra en 1977 et devint positive en 1978 et 1979, avant l’effet du second choc pétrolier. Le franc s’apprécia vis-à-vis du dollar et se déprécia à l’égard du mark, une évolution doublement favorable du point de vue du prélèvement pétrolier et de la compétitivité à l’égard de l’Allemagne. En mars 1979, la France entra dans le Système monétaire européen, où la baisse du mark, combinée à une relative stabilité des marchés des changes, provoqua une surévaluation du franc. On imputa parfois à ce phénomène une responsabilité dans l’accélération de la «désindustrialisation» dont furent victimes certains secteurs d’activité. Par ailleurs, les conséquences de la nouvelle politique monétaire américaine (6 oct. 1979) ne furent pas complètement perçues et un écart substantiel de taux d’intérêt s’instaura en faveur de l’étranger, tandis qu’on prétendait ainsi garantir l’indépendance de la politique monétaire française. Le changement de gouvernement en 1981 et la spéculation qui s’ensuivit rendirent évidente la surévaluation du franc. Un désir de déphasage des conjonctures (la relance en France, l’austérité en Allemagne) et son échec conduisirent alors à trois dévaluation successives (1981, 1982, 1983), plus justement dénommées modifications de parité, dans la mesure où elles furent menées dans le cadre du S.M.E.

Si le gouvernement issu de la nouvelle majorité a effectivement relancé l’économie à contre-courant, la cascade des ajustements du franc à la baisse ne fait que refléter la faible compétitivité des secteurs exposés à la concurrence internationale (le déficit du commerce extérieur est habituel tout au long de la décennie): une tentative de réévaluation en 1985 sera, dès 1986, suivie d’une nouvelle dévaluation. Dès 1983, cependant, la contrainte externe était devenue une évidence pour les responsables du pays. Il revenait à Pierre Bérégovoy, en charge directe ou indirecte des affaires économiques et financières (1984-1986, 1988-1993), comme à son double successeur, Édouard Balladur, de poursuivre une même politique de désinflation compétitive et de franc fort lié au deutsche Mark. L’aversion marquée pour l’inflation et la nécessité (au moins jusqu’en 1993) de maintenir des taux d’intérêt nominaux supérieur à ceux de l’Allemagne ont laissé peu de champ à une politique monétaire autonome.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Franc Français — Ancienne unité monétaire franc français Pays officiellement utilisateur(s) …   Wikipédia en Français

  • Franc francais — Franc français Ancienne unité monétaire franc français Pays officiellement utilisateur(s) …   Wikipédia en Français

  • Franc Français —   [frã frã sɛː], Abkürzung FF, der Französische Franc (Franken) …   Universal-Lexikon

  • Franc français — Pour les articles homonymes, voir Franc, F, FF et FRF. franc français Ancienne unité monétaire Pays officiellement utilisateur(s) …   Wikipédia en Français

  • Franc Francais — Französischer Franc Land: Frankreich Unterteilung: 100 Centimes ISO 4217 Code: FRF Abkürzung: F, FF Wechselkurs: (fix) 1 EUR = 6,55957 FRF 1 FRF = 0,152449 EUR …   Deutsch Wikipedia

  • Dévaluations du franc français — Les dévaluations du franc français ont été nombreuses, pour restaurer temporairement la compétitivité économique du pays[1], en rendant les exportations françaises meilleur marché mais en prenant le risque que les importations, plus chères, ne se …   Wikipédia en Français

  • Liste des émissions de franc français depuis 1960 — Ceci est une liste de tous les types de pièces de monnaies émises sous la dénomination de Franc français, et de ses subdivisions, ainsi que des billets. L intégralité de ces pièces sont en frappe « monnaie », c est à dire que l avers et …   Wikipédia en Français

  • Evolution du pouvoir d'achat du franc francais — Évolution du pouvoir d achat du franc français Compte tenu de l érosion monétaire (inflation), les francs n ont pas eu la même valeur au cours des années. Pour pouvoir comparer le pouvoir d achat entre deux dates différentes il faut donc employer …   Wikipédia en Français

  • Liste Des Émissions De Franc Français Depuis 1960 — Ceci est une liste de tous les types de pièces de monnaies émises sous la dénomination de Franc français, et de ses subdivisions, ainsi que des billets. L intégralité de ces pièces sont en frappe monnaie , c est à dire que l avers et le revers ne …   Wikipédia en Français

  • Liste des emissions de franc francais depuis 1960 — Liste des émissions de franc français depuis 1960 Ceci est une liste de tous les types de pièces de monnaies émises sous la dénomination de Franc français, et de ses subdivisions, ainsi que des billets. L intégralité de ces pièces sont en frappe… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”